Réponse du catéchumène : C’est l’éternité.
D. Qu’est-ce qu’être éternel ?
R. C’est avoir toujours été, et devoir toujours être ; c’est n’avoir ni commencement ni fin.
D. Comment prouveriez-vous l’éternité de Dieu ?
R. L’idée d’un Dieu créateur me conduit à celle d’un Dieu éternel, et je ne puis pas concevoir [1] un Etre qui a créé tout ce qui est, sans concevoir en même temps qu’il a toujours subsisté.
D. Montrez-moi la liaison de ces deux idées.
R. Je suis dans ce monde. Je ne me suis pas donné la naissance à moi-même : je la tiens de mon père et de ma mère ; mon père et ma mère sont nés comme moi : ils ne se sont pas donnés la naissance à eux-mêmes non plus que moi, ils la tiennent aussi bien que moi de leur père et de leur mère. Je remonte ainsi des êtres qui tiennent leur existence de quelqu’un, jusqu’à ce que je sois arrivé à celui qui ne tient la sienne de personne, et qui a toujours subsisté.
D. Mais peut-être que l’Etre qui a formé ce premier homme de qui tous les hommes sont venus, n’a pas toujours subsisté ; peut-être n’a-t-il subsisté que cent, que mille, ou que dix mille ans.
R. Un être qui a cent ans, ou mille, ou dix mille, me conduit toujours à un être éternel, comme celui qui ne subsiste que depuis une heure.
D. Expliquez-moi la justesse de cette comparaison.
R. Quand je vois un être qui ne subsiste que depuis une heure, je ne puis pas m’empêcher de croire qu’il y a un être qui subsiste depuis plus d’une heure. Car s’il n’y avait point d’être qui subsistât il y a plus d’une heure, il n’y en aurait eu aucun qui eut pu former celui qui ne subsiste que depuis une heure. De même, quand je suppose qu’il y a un être qui ne subsiste que depuis dix mille ans, je ne puis m’empêcher de reconnaître qu’il y en a un qui subsiste avant ces dix mille ans, car s’il n’y avait point eu d’être qui subsistât avant ces dix mille ans, il n’y en aurait eu aucun qui eût pu former celui qui a dix mille ans. Si l’on me dit qu’il y a un être qui subsiste depuis cent mille ans, je dis toujours, il y en a donc un qui subsistait avant cent mille ans, et ainsi je remonte jusqu’à cet Etre qui a toujours subsisté.
D. Mais le néant [2], ne pourrait-il pas avoir formé l’Etre qui subsiste depuis cent mille ans, et tous ceux qui sont venu après lui ?
R. Le néant, c’est-à-dire le rien. Quand on dit que rien a formé quelque chose, c’est-à-dire qu’elle n’est pas formée. Car former quelque chose, c’est agir. Pour agir, il faut être, mais le rien ne peut pas agir. On ne peut donc pas dire que le rien a formé ce qui est.
D. Mais pouvez-vous bien concevoir un être qui a toujours été, et qui ne doit sa subsistance à personne ?
R. J’avoue que cette idée est trop grande pour mon petit esprit, mais il y a des choses que je ne saurais comprendre, quoi que je sois bien sûr qu’elles sont.
D. Alléguez-en [3] quelque exemple.
R. Je ne puis pas comprendre l’arrangement de plusieurs roues qui font remuer avant tant de régularité et avec tant de justesse l’aiguille d’une horloge qu’elle marque toujours exactement les heures. Je suis pourtant bien sûr que quelqu’un a eu l’adresse de faire cet arrangement.
D. Vous dites que vous croyez qu’il y a un Etre éternel, quoique vous ne puissiez pas comprendre son éternité ; pourquoi ne voulez-vous pas croire aussi que rien ne peut avoir fait les choses qui sont, quoique vous ne compreniez pas comment cela se peut.
R. Il y a une grande différence entre ces deux suppositions.
D. En quoi consiste cette différence ?
R. La première de ces suppositions renferme une contradiction ; l’autre est très raisonnable et très conforme à ma petitesse naturelle.
D. Qu’est-ce qu’une contradiction ?
R. C’est la liaison qu’on voudrait mettre entre deux choses qui ne peuvent en avoir aucune, et qui se détruisent l’une l’autre. Par exemple, demander un nombre de deux qui sont un nombre impair, c’est une contradiction, parce que demander le nombre de deux, c’est demander un nombre qui n’est pas impair.
D. Mais comment prouvez-vous qu’il y a de la contradiction dans cette proposition : Le néant a fait le monde ?
R. Je l’ai déjà expliqué. Celui qui dit : le néant, dit : le rien ; celui qui dit le rien dit ce qui ne peut pas créer, et qui ne peut pas agir, mais dire que ce qui ne peut pas agir, que ce qui ne peut pas créer, a agi, a créé, c’est dire deux choses qui se détruisent l’une l’autre, et qui ne peuvent pas subsister ensemble.
D. Et comment prouvez-vous que l’impuissance où vous êtes de comprendre l’éternité vient de la petitesse de votre esprit seulement, et non pas de ce qu’il y a de la contradiction dans cette proposition : Dieu est un être éternel ?
R. Pour comprendre l’éternité, il faudrait se représenter toute la longueur de l’éternité. L’éternité est plus longue que mille, que dix mille, que cent mille millions d’années ; elle renferme plus d’années que n’en pourrait compter un homme qui aurait vécu plus de cent millions d’années. Je ne suis au monde que depuis très peu de temps, je ne puis donc pas compter ce qui est trop long pour être compté, même par une personne qui aurait vécu plus de cent mille millions d’années. L’impuissance où je suis de comprendre l’éternité vient donc de ma petitesse.
D. Vous avez prouvé que Dieu a toujours été ? Prouvez qu’il sera toujours.
R. Je crains toujours que ma raison ne s’égare quand je parle d’un être qui est si au-dessus de moi, mais je crois pouvoir assurer sans me tromper que s’il y a de la contradiction à dire qu’il y a eu quelque chose d’assez grand pour créer un être aussi grand que Dieu, il y a aussi de la contradiction à dire que quelque chose puisse le détruire. Mais j’espère d’être plus capable un jour de sentir la force de cette preuve.
D. A quelles vertus vous engage l’éternité de Dieu ?
R. Une petite créature comme moi qui ne subsiste que depuis quatre jours, ne peut pas se trop humilier en la présence de l’Etre éternel, en la présence de celui qui est avant toutes les choses créées et duquel toutes les choses créées tirent leur être. Une petite créature comme moi ne peut pas trop s’humilier en la présence de cet Etre qui subsistera toujours et qui sera toujours le Maître de m’ôter ou de me conserver mon existence, lorsque je suis, comme il a été le Maître de me la donner avant que je fusse.
On chantera à la fin de cette Section les trois derniers versets du Psaume 103.